Comme nous ne parlions pas tous la même langue lors de l'enregistrement, nous avons décidé de mélanger un peu de français avec de l'anglais et de l'espagnol, et le résultat est devenu une grande conversation sur la matérialité et la vie passée des corps, les ancestralités et les présents des migrant·es en Europe et le besoin de construire de l'amour et de la protection.
Retrouvez le podcast ici :
Et comme on se doute que tout le monde ne comprend pas l'anglais et l'espagnol, nous avons également fait une transcription en français que vous pouvez lire ici :
Aujourd'hui, nous sommes avec Pancho et Alex du collectif Ayllu d'Espagne. Tout d'abord, j'aimerais vous demander de vous présenter. Qui êtes-vous ? Que faites-vous en Espagne au sein du collectif ?
ALEX : Nous faisons partie du collectif Ayllu. Nous venons d'Espagne. Je m'appelle Alex Aguirre. Comme je l'ai dit, nous faisons partie du collectif Ayllu. Nous sommes basé·es en Espagne, plus précisément à Madrid et à Barcelone. Nous sommes des migrant·es venu·es de différents endroits, d'Abya Yala ou d'Amérique latine. Nous sommes ici depuis 2009. Le collectif Ayllu est d'abord le collectif "Migrantes Transgressores" en 2009. Et à partir de là, en 2017, un chemin artistique a été ouvert, qui est le collectif Ayllu. Et nous nous sommes concentrés davantage sur la recherche et les expressions artistiques, la dissidence anticoloniale et sexuelle. "Ayllu" est un mot en quechua, et il signifie famille élargie. Pour nous, c'est comme ça : un travail en communauté, en famille, avec de l'affection, de la recherche et des thèmes artistiques.
PANCHO : Je m'appelle Pancho et je fais partie du collectif Ayllu. Dans le collectif, nous sommes 5 personnes. Nous avons tous des antécédents différents et venons d'endroits différents, comme l'a expliqué Alex. Nous avons étudié l’anthropologie, la sociologie, les sciences politiques, l’histoire de l'art, la psycho-thérapie, donc il y a différentes choses qui se passent et qui sont liées. Et la chose principale est que, depuis Migrantes Transgressores, Migrant·es Transgressif·ves, à partir de 2009, puis plus intensivement depuis 2017, nous avons travaillé sur une construction créative d'une archive qui n'existe pas et une construction d'une communauté qui n'existe pas parce que la suprématie blanche ne veut pas que nous existions.
Nous avons donc décidé de créer notre communauté, d' « embrace » notre communauté de personnes queer raciséees. Des personnes d'origines diverses participent à notre communauté, des personnes d'Amérique latine, d'Abya Yala, mais aussi d'Afrique, d'Asie, nous essayons donc de nous connecter dans le contexte de la douleur. Tous ces souvenirs que nous appelons les souvenirs de douleur et les souvenirs de plaisir. Comment gérer toutes ces choses, parce que si vous pensez par exemple à l'esclavage aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles en Amérique latine, les personnes esclavagisées souffraient de l'esclavagisme, mais en même temps elles le faisaient avec plaisir, parce que c'était le seul moyen de survivre à cette violence. C'est ainsi qu'ils dansaient, chantaient et faisaient de l'art, en associant plaisir et douleur.
Comment le travail à la Kufa pour la résidence continue-t-il le travail du collectif ?
ALEX : Oui, pour nous, cela a été important dans notre processus de création artistique et dans l'échange avec d'autres organismes en Europe, pas seulement des organismes de migrant·es, mais aussi l'échange de réalités, de passé, d'ancestralité, et aussi le partage de nos connaissances. Car cet échange de connaissances est très important et permet de dire, comme on le dit dans le « performance art », quelles sont nos réalités : avec nos ancestralités, l'importance de la nourriture et du partage, des relations communautaires. Cet échange est donc important pour connaître les réalités des autres corps. Parce qu'en Europe, il n'y a pas d'autre façon de voir les choses. Dans d'autres endroits, dans des espaces blancs, précisément des espaces blancs, et, je ne sais pas, hétérosexuels, il est important de marquer et d'être en nous, avec la couleur de notre peau, brune, noire, en tant que dissident·e sexuel·le, en tant que personne trans. C'est difficile, mais peut-être qu'avec l'expérience, nous avons été très actif·ves pendant de nombreuses années et pour nous, il est très important de marquer cette partie de la migration anticoloniale et des corps en dehors de l'hétéronormativité.
PANCHO : Oui, je voulais juste compléter l'importance de mettre au centre la migration, le processus de migration, parce que lorsque nous émigrons vers l'Europe, notre situation se détériore. Lorsque les Européen·nes se rendent dans nos pays, leur situation s'améliore. Cette structure de pouvoir est donc géopolitique. Elle ne date pas de l'époque coloniale du XVIe siècle. Elle est vivante aujourd'hui. Ainsi, être un·e migrant·e en Europe, être un·e migrant·e racisé·e en Europe a une signification. De plus, si vous êtes un·e migrant·e racisé·e, et dissident·e sexuel·e, la situation gagne un autre niveau de complexité. Nous avons beaucoup travaillé sur ce type d'actions politiques visant à reconnaître la punition infligée aux personnes migrantes, la violence que nous subissons, etc. D'une certaine manière... Nous étions très en colère dans beaucoup de nos premiers projets. Nous étions très, très en colère, enragé·es. À un moment donné, nous avons compris que nous ne pouvions pas continuer ainsi parce que nous allions tomber malades. Nous étions très malades, émotionnellement malades. Nous avons donc décidé de trouver un moyen de transformer ce projet en un projet d'amour. Nous avons donc cherché l'amour. On cherche l'amour, pas seulement pour avoir un partenaire et ainsi de suite, mais un amour communautaire. Et en ce sens, nous avons trouvé dans le spirituel une bonne réponse. Parce que dans beaucoup de nos communautés ancestrales, la spiritualité est très, très, très importante. Nous sommes donc entré·es dans ces mémoires narratives, les mémoires effaçables aussi, parce que dans beaucoup de nos familles, beaucoup de pratiques non catholiques ont été en quelque sorte cachées et les personnes qui les pratiquaient se sentait coupables. Coupables d'avoir certaines pratiques. Nous avons donc commencé à nous intéresser à ces questions et c'est pourquoi notre projet, ici à Kufa, consiste à construire une sorte d'autel pour les divinités non reconnues. La montagne est une divinité. Et il y a beaucoup, beaucoup de figures non occidentales, dont certaines ne sont pas humaines, qui créent une sorte d'archive spirituelle de ce qui a été caché. C'est ce que nous essayons de faire ici.
ALEX : Et si je peux ajouter : sur le processus de cracher ma colère. Lorsque nous avons parlé de guérison. Au début, cracher ma colère était un après-midi de poèmes avec des dissident·es sexuel·les et des migrant·es. Après deux ans, trois ans, nous avons commencé à cracher notre colère pour guérir. Et en tenant compte de la question précédente... Quelque chose que j'ai lu hier m'est venu à l'esprit, à savoir que l'Europe ne nous reconnaît pas, ou ne considère la lutte des migrant·es que comme un processus que nous devons guérir et après, nous intégrer dans notre société, mais qu'elle ne reconnaît pas un passé colonial. Il y a donc deux choses : la lutte des migrant·es et la réparation, la reconnaissance du passé colonial.
Alex, dernière question. Tu as déjà réalisé une performance ici. Comment cela s'est-il passé pour toi ?
ALEX : Je suis... Au début, j'étais nerveux. Et puis, ta compagnie, votre équipe, votre compagnie, a été très importante. Et c'était aussi un espace convivial. Un espace bienveillant. C'était bien. La compagnie mutuelle du collectif est toujours importante. Et cela donne de la force. Et à ce moment-là, avec le masque Diablo Huma, je n'ai pas pensé aux gens ni à l'espace. C'était comme si je prenais les énergies de ma terre. Parce qu'elles sont... Pour celleux qui n'ont pas vu le spectacle, c'était comme... la guérison, la guérison de l'espace, avec la bougie, je veux dire, spirituelle. C'était donc comme... très important pour moi de partager.
Vous avez également prévu une projection le jeudi 2 mai. Pouvez-vous nous en parler un peu ?
PANCHO : Oui, c'est un film qui est très lié à toutes ces choses spirituelles dont nous parlions. C'est une sorte de film de protection. Nous recherchons des éléments qui nous protègent. Des petites choses comme par exemple ce fil rouge, c'est quelque chose de très traditionnel dans nos pays. Pour les enfants, quand ils sont très, très petits, les mamans mettent ça pour les protéger contre les maladies et les mauvaises énergies. Pour la santé, c'est pour tout. Les enfants, les bébés, c'est pour la protection. Oui, c'est pour la protection. Donc, tout ce que nous faisons sont des petits éléments pour protéger nos enfants de toutes les mauvaises choses qui les entourent.
Le film de ce jeudi, c'est un film fait en sept stations, rappelant ou repensant la station de la Via Crucis, les stations du Christ de la Semaine Sainte, de la Semana Santa. C'est un film que nous avons réalisé il y a combien d'années ? Il y a 2 ans, je crois, deux ans et demi, à Barcelone. Il se déroule en sept points de la ville de Barcelone. Par exemple, l'un d'entre eux est le monument à Antonio López y López, qui était un esclavagiste du 19ème siècle et qui possède une place et un monument. C'est donc là que nous avons mené l'action, ou encore au monument pour Christophe Colomb. Ainsi, dans les stations que j'ai mentionnées précédemment, il y a différents lieux de douleur, mais aussi de plaisir en même temps. Par exemple, l'une des stations se trouve sur la route, la route principale du travail sexuel à Barcelone. C'est donc un endroit où les migrants·es trouvent une solution économique à leur vie. C'est donc aussi un lieu de vie.
Comment gérer ces deux niveaux de douleur et de plaisir, de survie et de désir de poursuivre sa vie d'une manière ou d'une autre ? Car l'une des dernières stations est un appel à continuer à vivre parce que nous voulons vivre. Nous avons survécu parce que nos ancêtres ont survécu. Nous devons donc transmettre l'héritage de la survie à la génération suivante. Voilà pour le film. Ensuite, nous aurons une conversation. Tout le monde est donc invité à venir.
ALEX : Le passé est aussi l'avenir, nous le savons bien. Diablo Huma, dont Pancho nous a également parlé, est le symbole en Équateur, dans les pays des Andes, de la protection. Et il protège la communauté, la protection de la communauté. Tu m’as demandé comment je me sentais [pendant le spectacle], et quand je l'ai mis, j'ai eu l'impression de me sentir fort et protégé, pour moi et pour le collectif, dans un espace. Nous avons aussi fait le Diablo Huma dans la vidéo, dans "Our Oath" [le film], avec le masque des sorcières et du diable, qui est une façon spirituelle de nous protéger.
C'est une façon spirituelle de nous protéger. Et oui. Rendez-vous jeudi !